Si l’on compare même superficiellement les cartes de l’automne 2002 aux précédentes, qu’elles soient celles du gouvernement Sharon ou celles que les organisations palestiniennes traçaient à partir des ordres d’expulsion, on constate immédiatement que le tracé originel, qui ne s’éloignait pas trop considérablement de la Ligne Verte, en est maintenant très loin par endroits.
Le nouveau tracé, imposé à Sharon par la pression des colons, agréé par le parlement israélien le 1/10/2003, amène le Mur, qui s’insinue à 6 km en territoire palestinien à Jayyous près de Qalqilyia, jusqu’à 22 km à l’intérieur de la Cisjordanie, pour inclure les colonies de peuplement d’Ariel ou Emmanuel non loin de Salfit, au sud ouest de Naplouse. La Knesset a voté aussi l’autorisation au gouvernement Sharon de modifier à nouveau le tracé.
En février 2004, sous pression internationale et à grand renfort de publicité médiatique, le général Sharon a fait démolir une portion minime du Mur dans le district de Tulkarem.
Le village de Baqa Al Sharqiya qui comme plus de 40 localités palestiniennes était coupé de la Cisjordanie, enclavé depuis des mois, emprisonné par deux portails dont l’ouverture sporadique était l’occasion d’humiliations systématiques, s’est vu « réuni » à son environnement. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Dans le même temps le gouvernement israélien a fait construire un autre mur, de 8 m de hauteur aussi, à l’ouest cette fois du village qui se retrouve ainsi séparé des autres villages palestiniens d’Israël avec qui les liens sociaux commerciaux et familiaux n’avaient jamais été coupés, Ligne Verte ou pas.
Dans le projet actuel, le Mur, qui s’étale sur 70 à 100 m selon les lieux, devrait faire 650km de long, avec des portails d’accès espacés, dans une zone devenue militaire fermée.
150 km ont été construits à ce jour, de l’ouest de Jénine au sud de Qalqilyia, une autre portion s’introduisant dans Jérusalem- est, tandis que la construction isole Ramallah par le sud et Bethléem. Des « barrières intérieures » doivent s’ajouter au Mur.
48 colonies de peuplement juives sont déjà incluses dans les territoires confisqués, annexés de facto au territoire israélien, au mépris des conventions internationales. A terme, 98% des 400 000 colons implantés en Cisjordanie pourront ainsi être en territoire annexé par Israël.
La colonisation n’a pas de prix pour le gouvernement Sharon et il ne regarde pas à la dépense : actuellement le coût du km construit, plusieurs fois révisé à la hausse, s’élève à 2 millions de dollars.
Les conséquences sont gravissimes pour les Palestiniens :.
L’annexion du territoire
50% de la Cisjordanie se voit actuellement annexée, les gouvernorats du nord de Jénine, Tulkarem et Qalqilyia sont à ce jour particulièrement frappés.
875000 personnes seront directement touchées par le Mur, que ce soit par expulsion, confiscation des terres, impossibilité de se déplacer ou enclavement.
1402 familles ont été expulsées de juin 2002 à fin août 2003. Nombre des habitants de Tulkarem et Qalqilyia sont déjà des réfugiés, parfois 2 fois chassés de chez eux par la colonisation israélienne, et plusieurs familles sont à nouveau contraintes à partir.
Environ 263000 personnes -12000 familles, 42 villages- sont enclavées, dont plus de115000 se trouvent emprisonnées entre le Mur et la Ligne Verte dans le district de Tulkarem, alors que 100 communautés se voient coupées de leurs terres agricoles. Le village d’Azzun, près de Qalqilyia est ainsi totalement enclavé, afin de protéger les 6 colonies israéliennes que le Mur permet de rattacher à Israël et dont l’une déverse ses eaux usées et jette ses ordures dans la cour du collège de garçons d’Azzun.
Qalqilya, cas malheureusement exemplaire
Qalqilyia, près de la ligne verte, 50000 âmes dont 80% de réfugiés.La terre , fertile, y est peau de chagrin, d’abord amputée de 30 hectares pour construire une route de sécurité israélienne en 96. 10 ha de plus ont été confisqués en 97, pour un camp militaire cette fois. En 2002 les autorités israéliennes créent une zone tampon à visée militaire au sud de la ville et interdisent aux fermiers de Qalqilya l’accès à leurs champs, tirant sur les téméraires ou désespérés qui tentaient quand même de s’y rendre. C’est en confisquant « seulement » 12 ha supplémentaires qu’Israël en isole en fait 200 des autres terres de Qalqilyia, en août 2002.
Quant à Jérusalem, Le Mur en construction isole de facto 200000 Palestiniens de Jérusalem-est du reste de la Cisjordanie.
Les déplacements impossibles
Les « ghettos » sont quasi inaccessibles. De plus des routes sont coupées par le Mur, ce qui rend les déplacements quasiment impossibles dans de nombreuses régions. S’il existe des portails pour franchir le Mur, leur ouverture est aléatoire et le passage imprévisible. Hormis les difficultés majeures à vivre côté Cisjordanie et dans la zone « tampon », zone militaire fermée, ceci induit aussi la fin du travail migrant vers Israël et l’isolement total de nombreuses communes.
Les destruction des biens
Le tracé du Mur et la zone tampon qui vise à le protéger ont entraîné la destruction de dizaines de propriété privées et publiques dont de nombreuses maisons d’habitation.
Ainsi le 24 février 2004 encore, à Abu Dis à Jérusalem-est la maison de J. Shqierat a été démolie, 3 autres vont l’être 6 l’ont déjà été et 10 sont menacées.
Dans le village de Nazlat’isa près de Qalqilyia, le cataclysme a frappé en en août 2003. Le marché a été totalement détruit par les troupes israéliennes : plus de 218 bâtiments, commerces et maisons ont été rasés.
A Azzun,(15OO habitants dont 6 familles de réfugiés) 24 maisons sont en voie de démolition. Chaque ville, chaque village ou hameau peut dire la même histoire.
L’accès aux services
Les multiples barrages, bouclages et couvre-feux qui ont visé à mettre à genoux les Palestiniens depuis le début de l’Intifada Al-Aqsa en septembre 2000 ont eu des conséquences graves sur des secteurs- clé de leur vie.
La continuation de la spoliation et l’accentuation de la colonisation que représente ce Mur, aggravent considérablement la situation.
L’accès aux soins médicaux, déjà très limité, devient quasi impossible dans le district de Qalqilyia par exemple et l’hôpital de l’UNWRA fait état d’une détérioration grave de la situation sanitaire. Ceci concerne notamment les réfugiés du nord de la Cisjordanie dont c’est l’hôpital de référence.
L’Unwra observe déjà une baisse de 52% du suivi post natal des femmes et cela s’aggrave du fait de l’impossibilité d’accéder à l’hôpital. De manière générale beaucoup de femmes accouchent maintenant chez elles.
Le directeur de l’hôpital de l’UNWRA signale aussi l’augmentation des maladies liées à la pauvreté (50% d’anémie chez les enfants par exemple) ou au stress (diabète, maladie cardiaques, dépression etc.). L’hôpital est par ailleurs le seul en Cisjordanie à prodiguer des soins par la radiothérapie.
Mais le Mur peut être plus directement mortel : en février 2004 un enfant est mort, le transport à l’hôpital bloqué par le passage d’un portail que les militaires israéliens n’ont pas voulu ouvrir à temps.
De même, l’accès à l’éducation devient de plus en plus difficile dans les régions frappées par le Mur.
On estime que dans les 3 gouvernorats du nord 7400 élèves vont être directement touchés. Dans le district de Jénine il existe de nombreux hameaux qui envoient leurs enfants dans l’école de Tura. Complètement enclavée, les enfants ne pourront plus y accéder.
A Abu Dis le Mur coupe la route qui conduit à l’Université Al Qods.
A Qalqilyia, une nouvelle école primaire venait d’être construite. Aujourd’hui le Mur la domine, un mirador au-dessus de la cour. D’après le maire, Maron Zaron, il faudra évacuer, on ne peut laisser les enfants sous le feu des soldats israéliens qui tirent au hasard pour les dissuader d’approcher du Mur. Quant à l’Université AlQods de Qalqilyia, 50% de ses 1400 étudiants et 30 de ses 50 enseignants résident à l’extérieur de la ville et ont des difficultés considérables à atteindre le campus.
Près de Ramallah, Beit Ur Fuqa, petit village de 750 habitants se voit imposer le Mur à l’intérieur, dans la partie résidentielle. En conséquence 8 maison n’ont plus accès à la route qui mène à l’école.
Ras Atiya, 1400 âmes, près de Qalqilyia, a une école mixte qui reçoit 450 élèves, que le Mur touche maintenant au nord et à l’est et qui est gravement perturbée par cette présence mais aussi par les travaux, les explosions ayant fissuré les murs.
L’accès aux services généraux est également très problématique.
La poste n’existe pratiquement pas, ou ne passe pas, les services municipaux ne fonctionnent souvent plus, le terrain de certaines décharges d’ordures est aussi annexé et arasé, le réseau électrique est démoli dans plusieurs villages.
Les structures sociales en danger
Parallèlement les atteintes aux libertés individuelles des Palestiniens dans les régions du Mur sont multiples.
Les liens sociaux sont mis en danger, la structure communautaire, les liens familiaux aussi.
Comme à Abu Dis où le Mur sectionne des quartiers palestiniens, de nombreuses familles sont ainsi séparées à l’intérieur de la Cisjordanie, certaines emprisonnées du mauvais côté du Mur, d’autres enclavées, et d’autres définitivement coupées de leurs proches dans les villages en territoire israélien, annexés en 48 ou 67.
Ainsi, à Baqa Al Sharqyia, Youssef Bawaqneh ne verra plus ses enfants qui vivent dans les villages tout proches et désormais inaccessibles de l’autre côté du mur occidental.
« Les biens des absents »
On peut également craindre un remise en cause de la propriété. En effet une vieille loi ottomane conservée par l’occupant britannique et reprise à leur compte par les colonisateurs israéliens impose de cultiver ses terres, de faire usage de ses biens. Au bout de 3 ans d’ « absence », le bien tombe dans le domaine public.
C’est par ce biais malhonnête que, après la Nakba qui a jeté dans l’exil plus de 700 000 Palestiniens en 1948, Israël s’est approprié terres et demeures, au prétexte qu’ils n’avaient plus de propriétaires présents.
C’est aussi ainsi que nombre de Palestiniens qui possèdent un logement à Jérusalem s’en voient dépossédés s’ils ne l’occupent pas. Les familles se séparent parfois pour cela, comme chez Sahana, les enfants ballottés, l’un des époux restant à Hébron par exemple et l’autre à Jérusalem, afin de pouvoir en garder l’identité.
La famille de Samah, des réfugiés de 48 Jérusalémites depuis deux générations, possède un appartement dans la vielle ville. La difficulté de la vie sous occupation les a amenés à n’y être que rarement et à construire une autre maison dans un quartier périphérique, hors de limites administratives de Jérusalem. L’autre jour les soldats ont investi la maison, constaté un frigo vide, des lits non utilisés et ont dit à la famille que leur vie n’étant manifestement pas là, ils n’auraient plus le droit d’y être. Leur identité de Jérusalémites, qui apporte des avantages matériels, mais surtout qui affirme la réalité palestinienne de Jérusalem, est menacée.
Une autre loi, juive, dit aussi que des terres nues sur lesquelles on a planté des arbres vous appartiennent au bout de 2 ans. C’est ainsi qu’a jailli de terre la colonie d’Har Homa, au nord de Bethléem en I998. Sur la belle colline palestinienne d’Abu Ghneim, les arbres centenaires avaient belle santé. Mais des colons juifs une nuit en ont fait un désert. Ils ont coupé les arbres. Sur la terre « nue », ils ont posé une caravane et puis planté d’autres arbres, protégés par des milices armées. Quelque mois plus tard, malgré la lutte acharnée non violente des Palestiniens, la terre était juive, la colonie poussait comme un champignon. Derrière des rangées de barbelés la colline était laide et perdue.
C’est pourquoi, dans les villages près du Mur, les fermiers dorment souvent dans leurs champs. Bien sûr c’est pour pouvoir y accéder sans les tracasseries, les humiliations quotidiennes du passage du portail et la perte de temps et de forces, mais c’est aussi pour s’assurer qu’on ne viendra pas les en déposséder. La vie familiale de bien des familles, comme celle de Abu Mohannad près de Jayyouz en est d’autant perturbée.
L’agriculture menacée
C’est tout un mode de vie traditionnel et rural qui est ainsi en danger, à l’image des oliviers palestiniens arrachés par les bulldozers de l’armée israélienne.
Car les conséquence de la construction de ce mur colonial sur l’agriculture sont incommensurables.
Si elle vit d’un peu d’industrie (cible aussi de destruction, plusieurs petites entreprises ont été rasées dans les districts de Qalqilyia et Tulkarem) la Palestine n’en reste pas moins essentiellement rurale et agricole. L’agriculture représente 7% du PIB en Palestine où 90% des terres cultivées sont en Cisjordanie. 20% de la population active travaille dans le secteur agricole, dans de petites exploitations familiales. A Qalqilyia, 2000 travailleurs agricoles font vivre 15000 personnes.
La construction du Mur entraîne la confiscation de milliers d’hectares de terres publiques et privées. Ainsi 650000 dunums (65000ha) sont emprisonnés entre le Mur et la Ligne Verte tandis que plus de 7000 sont confisqués par l’édification du Mur à Jérusalem-est.
A Beit Surik, petit village au sud est de Ramallah, 35 ha confisqués en isolent 610. Village bien connu pour sa production de fruits, il se voit amputé de presque toute sa terre cultivable. Qafin, dans le district de Tulkarem, 9000 habitants, a été spolié de 70% de ses terres en 1948, puis encore en 1967. Le Mur à ce jour en a confisqué 600 ha supplémentaires, spoliant 770 familles. Le village ne possède plus que 30 ha. De même Salfit où l’arasement va bon train va perdre presque toutes ses terres agricoles et sera découpée en plusieurs régions séparées. 45% des terres du district de Qalqilyia sont confisquées.
Pour faire place nette pour le Mur et le no-man’s land de la zone de protection, des hectares de cultures ont été rasés, des milliers d’arbres arrachés, oliviers ou agrumes, 80000 qui s’ajoutent aux centaines de milliers depuis le début de l’Intafada. A Qafin, 12000, à Beit Sira, hameau près de Ramallah, 100 en une seule journée en janvier. Le maire de Jayyouz qui possédait 950 oliviers en a perdu 900, souvent multicentenaires. Des dizaines de serres ont également été détruites ou ont dû être abandonnées. Quant aux animaux, environ 10000 n’ont plus accès aux pâturages.
Les fermiers ont besoin d’un permis pour passer les portails à pied. D’autres existent pour les véhicules non motorisés, éloignés des villages. Les portails supposés s’ouvrir pour permettre aux paysans d’aller aux champs sont souvent fermés. Souvent, comme dans le district de Jénine, les paysans ne tentent d’accéder à leurs terres que le samedi, quand les bulldozers et les soldats qui les protègent sont absents.
QALQILYIA
A Qalqilyia les portails sont ouverts 15 mn 3 fois par jour. Les fermiers n’y vont pas le matin, il fait encore nuit, c’est trop dangereux de s’exposer aux tirs de l’armée. A midi quand ils peuvent ils sortent mais doivent rentrer à I6h, c’est bien peu pour entretenir les terres. Sans compter que les soldats passent souvent les 15 mn à contrôler les permis et puis, le temps échu, referment le passage.
Les fermiers ne peuvent plus accéder à leurs champs, les récoltes meurent, faute de soin et d’arrosage. En octobre 2003, le propriétaire d’une ferme de volailles a ainsi perdu 7000 poulets parce que ni lui ni les travailleurs agricoles qu’il emploie n’ont eu de permis pour accéder à la ferme afin de nourrir et abreuver les animaux et brancher l’air conditionné.
A cette catastrophe directe s’ajoute la difficulté d’écouler la production des villages désormais coupés des marchés. Par exemple Jayyous, l’un des villages les plus directement menacés par le Mur, écoulait traditionnellement sa production à Naplouse. Il est actuellement impossible pour les fermiers et maraîchers de Jayyouz qui ont gardé quelques terres d’accéder à Naplouse. De même les pêches et prunes que Beit Surik n’auront plus de débouché.
L’enjeu de l’eau
Rare dans tout le Proche-Orient, l’eau est un enjeu majeur de la colonisation israélienne en Palestine, notamment en Cisjordanie. Contrôler et confisquer les réserves en eau est la politique systématique des gouvernements israéliens qui se sont succédés.
Une nappe phréatique très importante, le bassin aquifère occidental, s’étend sous les 3 gouvernorats du Nord , 80% des puits sont dans celui de Tulkarem.
QALQILYA
Qalqilyia est l’une des régions agricoles productrices de fruits sous laquelle repose la plus grande nappe phréatique de la région. La ville a vu déjà son accès à l’eau quasi détruit pendant l’invasion de 1965, station d’épuration et canalisations détruites. Le mur aujourd’hui en confisque une trentaine dans la région, privant Qalqilya de près de 20% de son approvisionnement en eau et les oliviers centenaires d’irrigation.
Tant pour les cultures que la consommation humaine, les puits y sont nombreux et indispensables et …sous le contrôle militaire strict d’Israël qui en a interdit tout nouveau depuis 67. Dans la première phase le Mur en confisque ou détruit une cinquantaine de même que des citernes : 36 puits confisqués et 14 qui sont ou seront démolis, 34 dans le district de Qalqilya, 7 à Jayyouz, 14 passés entre le Mur et la Ligne Verte, etc. S’y ajoute l’interdiction du captage dans le district de Tulkarem et la destruction des canalisations dont 35 km ont été détruits pendant la première phase de construction du Mur, sans compter l’interdiction de creuser des puits ou d’en réhabiliter.
Attil, Farun, Habla, Rummana, Qafin…6.705.000 m3 d’eau par an sont ainsi confisqués. Des puits dont l’eau ne convient qu’à l’agriculture sont maintenant utilisés pour la consommation alimentaire.
Dans le même temps, 9 puits viennent d’être creusés dans le district de Qalqilyia pour les colonies israéliennes.
Problème supplémentaire, l’augmentation énorme du prix de l’eau. Pour faire face à la pénurie due, non à l’absence d’eau, mais à sa confiscation ou l’inaccessibilité des sources, les Palestiniens doivent recourir à l’achat d’eau fournie par des camions citernes, vendue par la compagnie israélienne qui en a le monopole. La rareté de l’eau, la loi du marché et surtout les difficultés considérables d’accès aux villages et hameaux pour les camions ont fait flamber le prix de l’eau, 80% depuis le début de l’Intifada.
L’eau et le Mur *
Avec le Jourdain, la nappe phréatique occidentale est la plus grande ressource en eau de la Palestine historique.
Dès le début des années 30 et la mise en place du projet colonial sioniste, l’importance de l’eau s’est révélée vitale. Les lieux d’implantation des colonies juives avant 48 en témoignent.
Avec l’établissement de l’Etat d’Israël, les projets à l’échelle nationale incluaient le détournement des sources autour du Lac de Tibériade et l’appropriation de la nappe phréatique occidentale.
Après 67, l’occupation a permis à Israël d’en avoir le contrôle. En interdisant le creusement de puits en Cisjordanie, située sur la partie haute de la nappe, les autorités israéliennes favorisaient les puits creusés dans la partie basse, Israël. Il s’agit d’une stratégie bien pensée, indépendante des développements politiques.
Dans toutes les négociations y compris avec les Egyptiens en 78, les responsables israéliens de la défense, de l’agriculture et des infrastructures et les experts de l’eau ont eu une approche concertée.
Pendant les négociations d’Oslo, les Israéliens ont présenté une carte qui superposait les limites orientales d’Israël à celles de la nappe, y incluant de facto une partie de la Cisjordanie.
Depuis Oslo la politique israélienne est la même. Un seul puits palestinien a été autorisé. Les puits creusés « illégalement » dans le nord, vers Jénine ou Tulkarem ont été démolis. Par contre ceux creusés dans le bassin oriental, la vallée du Jourdain, Jéricho ont échappé à la destruction, prouvant à contrario l’importance qu’Israël attache au bassin occidental.
Le contrôle des ressources en eau est aussi lié à la colonisation par les implantations « illégales » qui outre qu’elles aident au contrôle militaire du territoire palestinien assure aussi la main mise sur l’eau par et pour Israël. Ainsi toutes les infrastructures industrielles des colonies dans la région d’Ariel, près de Salfit, sont connectées au réseau israélien, alors qu’elles puisent dans la nappe occidentale, dès lors contrôlée de facto par Israël.
Les infrastructures ne correspondent pas au besoin des colonies actuelles- Burkan par exemple-, mais dans une logique expansionniste ce sont des investissements à long terme qui mettront dans 20 à 30 ans tout le bassin aquifère sous contrôle israélien. Toutes les données hydrologiques israéliennes mettent en évidence que le bassin occidental est intégré dans la cycle hydrologique israélien. Il est d’ailleurs inclus dans le budget national israélien pour l’eau.
Le Mur n’est donc pas une surprise pour un hydraulicien, c’est la mise en place de la politique israélienne de contrôle des ressources vitales de la nappe phréatique occidentale.
Pour assurer ce contrôle, le Mur crée des faits établis sur le terrain, pour appuyer les négociations à venir. L’utilisation de l’eau est liée à l’agriculture des terres fertiles en surface. Inaccessibles à cause du Mur, ces terres vont s’assécher et se stériliser en quelques saisons ce qui fera qu’on ne les utilisera plus. Il sera alors impossible aux Palestiniens de demander l’accès à l’eau pour des terres « inutilisées », dans toute négociation. Israël comme à son habitude utilisera cet argument pour délégitimer les revendications palestiniennes.
Les communautés agricoles et leur mode de vie sont menacés. Les terres devront être abandonnées. Il faudra aller ailleurs en Cisjordanie chercher du travail. Cela permettra à Israël d’imposer de fait une diminution de la population et, le travail étant rare en Cisjordanie, de se procurer une force de travail palestinienne bon marché.
Le Mur n’est pas une "barrière de sécurité". Le tracé de la première phase au nord, qui se superpose à une réalité hydrologique et non géographique, est bien la preuve qu’il fait partie de la politique d’annexion par Israël de la terre et de l’eau palestiniennes.
*d’après un article pour le Pengon d’AbdelRahman Tamimi, directeur du PHG (Palestinian Hydrology Group), ancien négociateur palestinien à Oslo, pour les questions de l’eau.
Le Mur s’ajoute maintenant aux check-points, bouclages et zones militaires existants pour faire de l’eau, indispensable à la vie, un produit trop rare et trop cher.
Ces difficultés contribuent à détériorer davantage la situation sanitaire qui devient préoccupante en Cisjordanie de même qu’elle étrangle encore plus l’agriculture très largement dépendante de l’irrigation. Comme le dit Abdel Rahman Tamimi, à travers le contrôle total des ressources en eau de la Palestine, le Mur et son tracé c’est la mise en pratique de la théorie de l’étape finale de la colonisation.
L’économie moribonde
Cette situation induit bien sûr des problèmes économiques graves. Déjà critique, avec des centaines de millions de dollars de pertes depuis le début de Intifada (dont 150 millions dus à la destruction des arbres), la situation empire encore du fait du Mur.
Les 3 gouvernorats du Nord qui, selon la banque mondiale, représentent environ 45% de la production agricole de la Cisjordanie et 80% des ressources en eau sont particulièrement touchés. A Jayyouz, 400 des 550 familles dépendent uniquement de l’agriculture.
Le PARC estime les pertes de production à 2200 litres d’huile par saison, 100000 tonnes de légumes et 50 tonnes de fruits.
Hormis la perte énorme de revenu des fermiers, les villes voient fondre des ressources commerciales et même fiscales comme Naplouse qui ne perçoit plus les taxes ($150000) des fermiers de Jayyouz. Les transporteurs et tous les travailleurs liés à l’activité des marchés sont aussi durement touchés.
Le commerce aussi est en chute libre. A Qalqilyia 30% des activités commerciales ont du cesser, 600 magasins ont fermé. Dans le district de Jénine, à Tura, 150 affaires ont fait faillite.
Le taux de chômage a fait un bond. De 17% il est passé à 70% à Qalqilyia par exemple, où le revenu mensuel moyen d’une famille est tombé de 1000$ à 60 environ. 70% de la population vit de l’aide humanitaire . A Qafin où plus personne n’a de permis pour aller en Israël le chômage atteint aussi 70%.
Les fermiers peuvent dans certains cas obtenir des compensations pour leurs terres. La plupart refusent pour ne pas reconnaître la spoliation. Quant aux rares fermiers qui acceptent ils se voient proposer 10% de la valeur réelle de la terre.
Le but du gouvernement Sharon
Cette « barrière de sécurité » ne dupe personne. Il s’agit bel et bien du plan que Sharon, élu en 2001, présentait déjà : « achever ce qui ne l’a pas été en 48 », soit la colonisation totale de la Palestine, pour s’en approprier le territoire et le transformer en Grand Israël.
Ce « mur » multiforme qui spolie un peuple de sa terre, de ses moyens de subsistance ancestraux, de sa vie et de son histoire, vise à faire une réalité du mythe scandaleux d’ « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». A la falsification historique d’alors se superpose l’idéologie coloniale et aussi une suprématie de la force brute, celle qui veut imposer un exode, un exil de plus à un peuple déjà dépossédé et qui se bat quasi seul pour imposer ses droits nationaux. La reconnaissance de son identité, acquise de longue lutte, et sa survie même sont à nouveau en question.
Ce « mur » infâme a pour objectif essentiel, hormis l’appropriation du territoire, des ressources -des terres et de l’eau-, d’éradiquer l’existence palestinienne. En les enfermant, en les affamant sur de larges portions du tout petit territoire qui ne leur a pas déjà été confisqué par la force militaire, le gouvernement du général Sharon veut amener à l’exode des milliers de Palestiniens. A Qalqilyia, 4000 personnes pour ne pas mourir ont du se résoudre à partir.
Par la séparation unilatérale puis par l’étranglement de la bantoustanisation et la déportation directe ou le départ inévitable, par l’ apartheid ou l’épuration ethnique, Sharon commet un crime majeur de plus contre le peuple palestinien.
La résistance
Pour les Palestiniens dans les régions les plus touchées par la construction du Mur, résister c’est d’abord continuer à vivre, tenter de poursuivre son existence.
C’est la résistance passive de toute la société.
Individuellement, c’est aller à l’école, ou l’université, enseignants et étudiants, quitte à passer des heures d’attente aux portails, comme on en passe déjà depuis 3 ans aux check-points et autres barrages. C’est aller à pied, en famille ou seule parfois quand ce sont les vieilles femmes qui ont eu seules le permis de passer, aux champs pour tenter de préserver les cultures et les bêtes.
C’est cette capacité à tenir (sumud en arabe) et à rester debout malgré la lassitude et le désespoir, qui a déjà de facto vaincu les plans de Sharon qui n’a pas réussi à les mettre à genoux. C’est revendiquer ses droits et sa dignité, c’est aller s’asseoir sur la terre qu’on va vous prendre par la force militaire. C’est maintenir ses traditions et sa solidarité.
Cette solidarité qui s’exprime aussi collectivement, que ce soit la solidarité familiale ou villageoise, l’entraide matérielle et morale, c’est elle qui permet concrètement de tenir.
Mais c’est également la solidarité organisée. Ce sont les associations telle l’Union des Fermiers Palestiniens, les ONG qui font le maillage de la société rurale palestinienne, que ce soit les volontaires des comités agricoles (PARC, UAWC) ou les bénévoles de la santé (UPMRC, HWC, Croissant Rouge Palestinien) qui bravent les difficultés pour apporter de l’aide aux populations sinistrées par le Mur (construction de routes alternatives pour les fermiers, transport obstiné des blessés, malades, soignants et médicaments), en accord souvent avec la solidarité internationale des ONG de la santé notamment.
C’est enfin la résistance active non violente. Des manifestations sont organisées depuis des mois, pour s’opposer aux bulldozers israéliens protégés par les soldats voire les chars de l’armée de Sharon.
A Jayyouz, les militants se lèvent par dizaines pour se placer devant les destructeurs depuis plus d’un an.
A l’occasion de la campagne de solidarité avec les Palestiniens organisée par le GIPP et d’autres organisations en décembre 2003, de nombreuses manifestations ont rassemblé des Internationaux et des Palestiniens autour des villageois pour dénoncer la destruction par le Mur du monde palestinien.
A Salfit en janvier 2004 une semaine de mobilisation a eu lieu, avec les étudiants de l’Université d’Al Qods et les habitants de la ville.
Aujourd’hui c’est à Beit Surik que la solidarité militante active apparaît aussi. Des dizaines de villageois d’autres villages, des étudiants, des Internationaux, de l’ISM surtout, des militants anticolonialistes israéliens se couchent devant les machines de guerre qui vont déraciner les "arbres romains" (les oliviers millénaires qui ont vu passer Rome) et araser les hectares de terre fertile palestinienne.
Mais la machine de guerre israélienne est bien rodée. Gaz incapacitants, dits lacrymogènes, grenades sonores, terribles à bout portant, balles dites en caoutchouc ( un cœur de métal mortel recouvert de caoutchouc), balles réelles. L’armée israélienne d’occupation a l’habitude de blesser et de tuer, ici comme ailleurs. A Beit Surik et Biddu au nord ouest de Jérusalem, 3 morts ont déjà payé le prix de la lutte non violente contre le Mur. Les blessés ne se comptent plus, qu’ils aient inhalé des gaz toxiques, été violemment frappés ou blessés par balles.
S’y ajoute une tactique habile de dissémination des forces des militants palestiniens et des anticolonialistes qui les soutiennent : par la multiplication des endroits d’intervention des bulldozers comme à Biddu et Beit Surik, les destructions ont paru s’arrêter alors que les soldats s’étaient déplacés plus loin, sur plusieurs lieux, pour affaiblir la résistance en en morcelant les actions.
Malgré cela , les militants qui s’opposent au Mur continuent à se mobiliser. Le 23 février 2004, partout en Palestine occupée, avec les Ongs et les partis politiques, mouvement national et islamique ensemble, des milliers de gens se sont rassemblés en un « jour de colère » : 4000 à Beit Surik dont plusieurs dizaines d’Israéliens, 4000 à Ramallah, 3000 à Tulkarem, 1000 à Salfit, Abu Dis et AlRam (au nord de Jérusalem), des milliers à Qalqilyia et à Bethléem une foule d’habitants, de réfugiés du camp d’Aida, directement menacé par le Mur, et d ’étudiants. Cependant, dans de nombreux endroits l’armée israélienne a réussi à empêcher les manifestations, comme dans le nord, à Jenine et autour.
Les Palestiniens d’Israël et de Gaza se sont aussi très largement mobilisés. A Gaza, cible systématique du terrorisme d’état israélien, ils savent ce qu’est un « mur », ils ont sont prisonniers depuis longtemps déjà.
Tous en appellent à la solidarité internationale une fois encore. L’Autorité Nationale Palestinienne aussi qui, comme beaucoup d’acteurs de la vie politique et sociale en Palestine occupée, avait tardé à prendre la mesure de l’objectif de Sharon, mais qui se mobilise depuis longtemps maintenant pour obtenir les soutiens internationaux.
La Cour de Justice Internationale à la demande de l’assemblée générale des Nations Unies se penche à La Haye sur la légalité du mur, ce qui irrite profondément le gouvernement Sharon qui en connaît parfaitement l’illégalité. Le droit international interdit à l’occupant d’annexer du territoire occupé, de déplacer des populations occupées et d’infliger des punitions collectives.
Le droit interdit le Mur, en fait !
Imposons en l’arrêt et la démolition.